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Sophie Winter

Les cinq livres qui m'ont le plus marquée

Voilà bien longtemps que j’ai envie d’écrire cet article, afin de vous partager mes plus gros coups de cœur littéraires. J’aime lire infiniment, passionnément, profondément. Je ne peux pas m’endormir sans avoir lu, je ne peux pas ne pas avoir un livre en cours. Et certains livres ont été un tournant dans ma vie, comme les cinq que je vais vous présenter aujourd’hui. J’ai décidé de vous les montrer dans l’ordre dans lequel je les ai lus, mais tous sont sur un pied d’égalité dans mon cœur. Ce sont des œuvres fortes, puissantes, sur des thèmes parfois difficiles, et toujours avec une plume qui a su saisir la réalité de l’âme humaine. N’hésitez pas à me dire en commentaire si vous les connaissez, ou bien quels sont vos livres préférés également !





Cent ans de solitude est mon roman coup de cœur absolu. Découvert il y a presque vingt ans, je l’ai lu trois fois depuis, confirmant à chaque fois mon amour pour cette immense saga familiale absolument incroyable. L’auteur, Gabriel García Marquez, a reçu le prix Nobel de littérature en 1982 pour l’ensemble de son œuvre. Néanmoins, le succès planétaire de Cent Ans de solitude a fait beaucoup pour l’attribution de cette récompense.


Ce roman narre la destinée de la famille Buendía sur sept générations, et du village imaginaire de Macondo qu’elle habite. Acculés à vivre cent ans de solitude par la prophétie du gitan Melquíades, les Buendía vont traverser les guerres, les massacres et les conflits, et connaître à la fois la grandeur et la décadence. L’histoire est racontée grâce à une structure temporelle cyclique : tant les événements du village et de la famille Buendía que les noms des personnages se répètent encore et encore, faisant fusionner le fantastique et la réalité.


Lorsqu’on ouvre pour la première fois ce grand roman, il faut s’attendre à tout, et même au-delà. Ici, plus rien n’a de sens. Les tapis volent, la pluie tombe pendant des années sans discontinuer, les décédés reviennent donner leur avis… Même la tisane a un goût de fenêtre, c’est dire ! C’est ce réalisme magique, dont Gabriel García Marquez est un des pionniers et certainement son plus grand représentant, qui fait de ce livre un chef d’œuvre absolu à mon sens. Car au-delà de ce qui paraît être une simple fantaisie, l’auteur dénonce notre fonctionnement en tant que société.


L’exemple le plus marquant est lorsque le village est atteint d’une étrange maladie, qui va plonger petit à petit ses habitants dans le sommeil, puis dans l’oubli. Pour lutter contre l’amnésie, ils se mettent à inscrire les noms sur chaque chose, puis, la maladie progressant, ils doivent ajouter des écriteaux pour se rappeler de leur utilité : « Voici la vache, il faut la traire tous les matins pour qu’elle produise du lait et le lait, il faut le faire bouillir pour le mélanger avec du café et obtenir du café au lait. » Mais cela ne suffira pas, car quand l’écriture sera elle aussi perdue, ils sombreront tout à fait. L’auteur dénonce ici le lent glissement vers la passivité par un excès de confort, et comment une société peut facilement se couper de la réalité.


C’est en lisant ce roman que j’ai compris qu’en littérature, tout est permis. Sortir du cadre, créer intensément, laisser sortir de soi des mots si différents, mais qui s’associent si bien sur le papier. Ce roman, unique en son genre, a ouvert les portes de l’écriture en moi, me montrant qu’il existe tout un univers au-delà de mes propres limites. Je le conseille à tous ceux qui n’ont pas peur de ne rien maîtriser, mais surtout à tous ceux qui ont toujours besoin de tout maîtriser… Parce que parfois, en se laissant aller, on découvre un monde insoupçonné, où la créativité n’a plus aucune limite pour exprimer ce qui nous révolte intérieurement.





Lorsque j’ai refermé cette œuvre titanesque, elle m’a hantée pendant bien longtemps. Œuvre titanesque par sa taille, déjà : 1500 pages. Honnêtement, je n’ai rien vu passer, et j’en aurais volontiers lu 1500 autres. Œuvre titanesque, ensuite, par la richesse historique de son récit, qui nous plonge, haletants, en pleine guerre de Sécession. Œuvre titanesque, finalement, par la profondeur de ses personnages, qu’on hésite autant à aimer qu’à détester.


Scarlett O’Hara est une jeune Sudiste de 16 ans, têtue, égoïste, séductrice et terriblement prétentieuse, quand éclate la guerre qui va déchirer les États-Unis dans les années 1860 au sujet de labolition de l’esclavage. Tout au long du récit, nous allons la suivre au plus près de la guerre, au cœur de ses émotions : son amour éternel pour Ashley, sa rencontre tumultueuse avec Rhett, sa haine pour les Yankees, son dédain pour les esclaves, ses sautes d’humeur, ses pensées les plus noires, ses actes les plus sombres… Jamais je n’ai lu un livre avec un tel anti-héros. Et ce qui est incroyable, c’est qu’on ne sait même pas quoi penser d’elle, entre l’envie de la voir évoluer et celle de lui tordre le cou. Tout est tellement bien décrit qu’on vit cette histoire au cœur de l’action. On espère, on doute, on a envie d’intervenir, on rage… Ce roman est un vrai condensé d’émotions.

L’auteur, Margaret Mitchell, nous mène d’une main de maître du début de ce livre jusqu’à la toute fin qui est, à mon sens, l’une des chutes les plus puissantes que j’ai jamais lue dans un roman. Ce qui est incroyable dans ce livre, c est qu’il a su susciter des sentiments complètement contradictoires en moi. Je l’ai aimé… autant que je l’ai détesté.


Autant en emporte le vent est empreint d’un racisme qui donne envie de vomir à toutes les pages. Quand on parle de racisme, dans un livre sur l’esclavage, on pense aux blancs qui traitent les noirs de la manière la plus vile qui soit. Ce roman est pire que ça. Margaret Mitchell, qui l’a écrit 90 ans après la fin de la guerre de Sécession, dépeint la société Confédérée comme une douce chimère, qui ne retrouvera jamais sa joie de vivre après tous ces événements. Les personnages noirs, creux, inexistants, sont dévoués corps et âmes à leurs bons maîtres blancs et, après la guerre, ils deviennent soit complètement perdus face à cette nouvelle liberté, soit fainéants, prétentieux et arrogants. Les hommes blancs, pour contrer la prise de pouvoir de la ville par les noirs, se voient dans l’obligation de créer un groupe pour défendre la population blanche. Vous l’aurez deviné, c’est le Ku Klux Klan.


La société est décrite dans tout son romantisme et son insouciance, sans aucune remise en cause de l’une des plus grandes hontes de l’Histoire. Aucun passage ne condamne l’esclavage, les Yankees sont les ennemis à abattre, ennemis qui n’ont manifestement rien compris au bénéfice mutuel qu’apporte la traite des noirs (la bonne blague). Ce livre traduit l’état d’esprit de l’auteur et de bon nombre de ses compatriotes sudistes de l’époque : les noirs sont présentés comme des êtres inférieurs.


Je crois que si ce roman a tellement résonné en moi, au delà de l’indéniable puissance de l’écrit, c’est qu’après sept ans passés au Texas, ancien État Confédéré, esclavagiste, je ne peux que me demander comment la pensée a pu évoluer, un peu plus de 150 ans seulement après tous ces événements. Le livre a été écrit dans les années 1930. 1930, c’était il y a à peine 90 ans… L’Histoire récente des US est à la fois courte et terriblement violente, et je ne parviens pas à savoir ce qu’est devenu ce racisme ambiant. Dans le Sud des États-Unis, il est très facile de visiter des anciennes plantations de coton. Au pied des immenses maisons coloniales on retrouve les cases des esclaves, systématiquement. Petites, sales, peu aérées. Quelle honte. Comment, en voyant ces maisons de désolation, peut-on un seul instant ne pas blâmer l’esclavage tout en se berçant de récits de l’ancien temps ?





Vous vous rappelez peut-être à quel point j’aime Zola qui est, de très très loin, mon auteur préféré. Tout me parle dans son écriture, depuis la beauté des phrases jusqu’à la profondeur intime des personnages. J’ai lu de nombreux tomes de son œuvre titanesque des Rougon-Macquart, mais aujourd’hui j’ai choisi de vous en présenter un qui n’en fait pas partie, puisque c’est son premier grand roman, écrit à tout juste 27 ans.


Thérèse est une orpheline recueillie par sa tante, madame Raquin, et mariée à son cousin maladif, Camille. Tous les trois mènent une existence assez lugubre, faite d’ennui et d’oisiveté, jusqu’au jour où la paix monotone de leur existence vole en éclats avec l’arrivée de Laurent, peintre raté et ami d’enfance de Camille. Très vite séduite par cet homme, Thérèse croit renaître à la vie en laissant exploser sa sensualité. Les deux amants se débarrassent du mari devenu trop encombrant, sans se douter que le remords de ce crime va sonner le glas de leur existence.


« Dans Thérèse Raquin, j’ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J’ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. »


Avec cette citation de Zola lui-même, tout est dit. Ce livre est une œuvre expérimentale, dans laquelle il a placé deux personnages qui descendent au plus profond de la noirceur de l’âme humaine. Je n’ai jamais lu une descente aux enfers aussi sombre, aussi machiavélique, aussi destructrice, que dans ce livre de Zola. De l’amour à la haine, de la haine à la folie.


A sa sortie, ce livre a été violemment critiqué. Peut-être trop en avance sur son temps, sûrement trop noir et trop réaliste pour une société peu habituée à fouiller ainsi dans les sentiments humains les plus profonds. On en ressort hébété, happé par une plume splendide qui ne pardonne rien.


Du grand Zola.





Je cherche mes mots pour présenter Beloved, et je ne les trouve pas. Beloved ne correspond à aucun critère et ne trouve sa place nulle part dans le monde littéraire. Lorsque j’ai refermé ce roman, je me suis demandée si je n’avais pas rêvé. Pourtant, les traces de cette écriture puissante et dérangeante se sont bien imprégnées en moi, marquant clairement un avant et un après Beloved.


1873, Cincinnati, Ohio. Sethe, ancienne esclave, vit avec sa fille Denver dans une maison hantée par le fantôme malveillant d’un bébé. Dix-huit ans auparavant, alors enceinte de Denver, elle avait réussi à s’enfuir de la plantation où elle était esclave. Rattrapée par ses maîtres blancs, Sethe avait alors commis l’irréparable : égorger sa fille de deux ans afin de lui éviter une vie de servitude. Un jour, se présente chez Sethe et Denver une jeune fille étrange, sans souvenirs et sans passé. Son prénom, Beloved, correspond à la seule inscription figurant sur la tombe de l’enfant tuée…


Je tenais absolument à lire ce livre en anglais, même si dès la première page j’ai senti que le niveau était clairement trop élevé pour moi. Pourtant je me suis accrochée, et c’est là que j’ai compris que ce n’était finalement pas le niveau qui était un problème. Le thème de ce livre est difficile, la plume est difficile, le langage est difficile, et c’est ce qui en fait un chef d’œuvre qui n’a pas son pareil. La même histoire tourne en boucle, encore et encore, à travers les yeux des différents personnages et au fil de leurs émotions. On navigue brutalement entre différentes époques, découvrant petit à petit de nouveaux éléments de l’histoire. Difficile de ne pas se perdre dans la narration, dont le style unique laisse le lecteur démêler seul les non-dits.


Les thèmes de l’esclavage et de l’infanticide rendent cette histoire cruelle, et pourtant tout y est poétique, tout y est pur. Seule la plume de Toni Morrisson pouvait atteindre cet équilibre et c’est avec un mélange de déception et de soulagement que j’ai refermé ce livre.


Beloved – le livre – et Beloved – le fantôme – hantent le lecteur pendant longtemps.





Bakhita est le petit dernier de cette liste. Je viens tout juste de le finir, et c’est lui qui m’a donné l’impulsion pour terminer cet article, commencé depuis bien longtemps. Il faut croire que je ne pouvais pas publier sans l’avoir ajouté, comme s’il était la pièce manquante de ce grand puzzle littéraire. C’est le troisième roman sur l’esclavage que je vous présente aujourd’hui, tous les trois ayant été par ailleurs écrits par des femmes. Malgré tout, le thème y est abordé de manière différente, même si la plume de l’auteur a la même puissance que les autres pour retranscrire les profondeurs de l’âme humaine.


Bakhita raconte une histoire vraie, celle d’une petite fille enlevée à l’âge de sept ans dans son village du Darfour, en 1877. Confrontée à toutes les horreurs et les souffrances de l’esclavage, elle est rachetée à l’adolescence par le consul d’Italie, et découvre alors ce nouveau pays d’inégalités, de pauvreté et d’exclusion. Affranchie à la suite d’un procès retentissant à Venise, elle entre dans les ordres et traverse le tumulte des deux guerres mondiales en vouant sa vie aux enfants pauvres. Bakhita est le roman bouleversant de cette femme exceptionnelle, qui fut tour à tour esclave, domestique, religieuse et sainte.


J’ai récupéré ce roman un peu par hasard chez ma maman cet été, elle-même l’ayant acheté sur une brocante quelques temps auparavant. Il est resté plusieurs mois sur ma table de chevet, et tout en attendant son tour, cette magnifique femme noire sur la couverture me regardait avec calme et détermination. C’est ce trait de caractère que j’ai retrouvé tout au long de ma lecture, en suivant la vie de cette femme incroyable qui a su garder la tête haute pour traverser les incompréhensions de sa vie avec douceur et résignation.


Au-delà de mon respect pour cette femme, qui a été canonisée en octobre 2000 par le pape Jean-Paul II, c’est la plume de l’auteur qui m’a le plus marquée. Quand on doit décrire une telle vie, l’équilibre entre la description et la pudeur est difficile à trouver. Pourtant, dans ce roman, les mots ont été choisis avec justesse pour ne pas en dire trop, mais pour ne pas en dire trop peu également. Certaines scènes, terriblement difficiles, m’ont serré le cœur, mais je salue le travail de l’auteur qui a eu à cœur malgré tout de protéger ses lecteurs. On souffre ainsi avec Bakhita, mais on avance avec elle, car elle est forte pour deux.


Si je vous ai présenté une véritable descente aux enfers fictive dans Thérèse Raquin de Zola, Bakhita est peut-être tout l’opposé : une montée vers le ciel, bien réelle cette fois-là. Bakhita, celle qui a souffert au point d’oublier jusqu’à son nom, nous donne dans ce roman une magnifique leçon de courage et de détermination. Je garderai longtemps en moi l’écho de ce chemin de vie, depuis la savane oubliée jusqu’aux couvents italiens où elle finira par dédier sa vie aux autres.

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